dimanche 2 avril 2017

Avis Audiofanzine sur le Jupiter 8

Voici mon avis sur le Jupiter 8. Si vous l'appréciez, n'hésitez pas à voter pour cet avis en bas de page sur AF:
http://fr.audiofanzine.com/synthe-analogique/roland/jupiter-8/avis/r.154054.html

J'écris cet avis le jour de la disparition de Ikutaro Kakehashi, le fondateur de Roland, à qui je rends ici un hommage très affectueux!

Le modèle que j'ai la chance de posséder est un Jupiter 8 non midifié, sans port DCB, comme la grande majorité des 2000 exemplaires produits

Pour évaluer un synthétiseur aussi mythique, il faut arriver à discerner justement ce qui relève du mythe (la rareté, la notoriété, les tubes légendaires qu'il a façonnés) et la qualité intrinsèque du synthétiseur en lui-même: que vaut-il par rapport aux autres? C'est sous cet angle que cet avis doit être pris.

Commençons par la fabrication. A l'époque de sa sortie (1981), le Jupiter 8 doit faire face à de très beaux synthés américains, encore leaders sur le marché: l'OB-Xa et le Prophet 5, premiers polyphoniques à mémoire. Après le coup d'essai du Jupiter 4, bon synthé mais pas encore abouti, et qui n'a pas réussi à s'imposer, Roland n'a pas le choix: il faut une fabrication exemplaire, et surtout, de la modernité pour trancher avec la concurrence. Le choix du tout métal est donc de mise, avec des flancs en alu, un clavier d'excellente qualité, des boutons/sliders très bien dimensionnés et avec une bonne résistance sous la main. Enfin, la sérigraphie multicolore tranche avec la production de l'époque, du moins dans cette gamme. Un gros dissipateur vient un peu gâcher l'affaire à l'arrière de l'appareil, mais on comprend vite son utilité: l'appareil est un vrai radiateur! Il est presque impossible à toucher passé 20 minutes sous tension. La connectique est top au niveau audio (sorties Jack et XLR, énorme dynamique en sortie), mais il n'y a hélas pas d'entrée CV/Gate, juste une sortie, une prise casque avec un gain réglable sur 3 niveaux. On peut contrôler le VCA, le VCF et le portamento avec des entrées pédales dédiées. Enfin, une sauvegarde par cassette (qui fonctionne toujours très bien aujourd'hui, quand on met un enregistreur audio à la place d'un lecteur de cassettes, permettant d'enregistrer ses banques de sons). Précieux: une entrée Trig qui permet de caler les pas de l'arpégiateur sur un signal de ce type (ça marche nickel avec mon analog rytm).

Toujours pour se démarquer de la concurrence, Roland a l'idée (et la technologie) pour proposer une fonctionnalité que ne proposaient pas encore ses concurrents de l'époque: la possibilité de jouer 2 sons différents simultanément, en split ou en layer. C'est une caractéristique majeure qui en fait un formidable outil de scène (fonction split, surtout, avec point de partage réglable) et de sound design: la possibilité d'empiler 2 sons totalement différents préfigure ce que sera l'architecture des synthés Roland qui suivront, du V-synth jusqu'au récent System8, en passant par le Jupiter 80.

Au niveau contrôle du son, le Jupiter 8 dispose du mode le plus simple: solo (une seule voix), Poly (1 ou 2, selon qu'on souhaite une permutation circulaire dans l'ordre de déclenchement des oscillateurs, ou bien un redéclenchement en partant de l'oscillo 1), et Unison (toutes les voies sont réparties sur le nombre de touches déclenchées, malheureusement sans possibilité de detuning, contrairement au MKS80 qui est monstrueux de ce point de vue. Par contre, le mode Unison répartit les voix Left et Right pour un rendu dans l'espace prodigieux! Ajouté à un multi effet stéréo, ça fait merveille...). Le mode Poly 1 ou 2 trouve surtout une utilité avec l'utilisation du portamento, dont le comportement diffère totalement selon lequel on choisit.

L'architecture d'une voix est simple, et on ne peut plus classique: on peut le regretter, mais c'est en même temps peu original à cause justement du côté précurseur des instruments de cette époque: ils ont inventé le concept des 2 oscillateurs avec l'unique filtre passe bas, tellement copié depuis, et ce jusqu'à aujourd'hui.

Commençons justement par les oscillateurs: ce sont des VCO discrets. ils ne proposent pas exactement les mêmes formes d'onde: le triangle de l'un est remplacé par une sinusoide sur l'autre; le carré de l'un est remplacé par un bruit blanc sur l'autre. Astuce, ou plutôt fonction cachée: un bruit rose est disponible également sur le même oscillateur (voir la rubrique astuces sur cette page).

La cross modulation permet de moduler la fréquence d'un oscillateur par l'autre; l'oscillateur 2 étant débrayable en mode "low", on peut moduler la fréquence du l'oscillateur 1 avec l'oscillateur 2 devenu LFO. Dans les fréquences audio, cela permet toutes sortes de bruits, des fréquences secondaires inharmoniques les plus subtiles jusqu'aux FX les plus destructeurs. Ces oscillateurs, à la base, ne sonnent pas "gros" comme sur le anciens Roland (SH, JP4), mais justement: ils n'en sont que plus malléables et faciles à travailler, toujours avec une réponse très subtile, très chaleureuse et avec une coloration très vintage; sur les nappes, sur les FX avec Cross Modulation, ils sont justes merveilleux. C'est avec le Jupiter 8 que je fais les plus belles textures et nappes, et très facilement. Cela sonne toujours formidablement bien, la PWM est superbe, et il y a ce côté si difficile à reproduire dans les VCO de continuité dans le signal et la phase, même quand on joue des notes différentes: beaucoup de détails se nichent dans leur réponse.

La PWM peut être modulée soit pas l'enveloppe 1, soit par le LFO.

Ce LFO, lui, est avant tout dédié à la modulation du pitch (sur l'un ou l'autre des oscillos, ou les 2), mais aussi du cutoff du filtre. Doté d'un retard, il peut aller assez haut dans les fréquences audio, mais pas autant que le Jupiter 4 qui est, lui, totalement monstrueux dans le registre.

La Synchronisation des oscillateurs est, comme tout ce qui gravite autour des oscillateurs, une merveille totale. Son aiguisé comme une lame de rasoir, son massif (en mode unison, on arrive à des choses dangereuses).

Il y a 2 filtres, au choix: un 12dB/octave à la réponse très musicale et douce, qui fera merveille sur les nappes et les brass, certains leads: et un 24dB/octave qui ne va pas tout à fait jusqu'à auto-osciller: on n'aurait pas été contrarié que ce soit le cas. Ces 2 filtres donnent déjà une réponse très variée à la machine, car ils sont tous deux très différents! Certes, le HPF est statique (et pas très extrême, comme toujours chez Roland qui a repris le concept sur les MKS80), et on n'a pas droit au joli filtre multimode du Jupiter 6, mais c'est déjà pas mal avec ces 2 filtres-là. Des subtilités de réglages permettent de faire des sons assez snappy et sonnant presque comme un HPF, quand on sait s'y prendre.

On peut moduler ces filtres avec le LFO et l'enveloppe 1, qui est inversable (in-dis-pen-sa-ble!)

Les 2 enveloppes sont des ADSR classique bien punchy, ça peut cogner sévèrement! Dommage que l'idée des SH consistant à pouvoir redéclencher les enveloppes avec le LFO a été abandonnée. On a tout de même gardé le suivi du clavier pour chacune d'elles.

Le Jupiter 8 propose enfin des modulations en temps réel, avec 2 sources seulement (le clavier ne disposant ni d'aftertouch, ni de vélocité): un pitch bend, et un gros bouton activant le LFO en tout ou rien, et non par pression comme sur l'ARP Odyssey. L'un comme l'autre peuvent agir sur le pitch et le filtre, directement pour le pitch bend, et via le LFO pour le second bouton. Tout cela est dosable finement grâce à 4 sliders, mais malheureusement global et non mémorisable. Le portamento peut lui être enclenché pour 2 parts, ou 1 seule (la part supérieure, dite upper), avec un temps réglable. Arrêtons nous sur la façon dont il fonctionne: je ne saurais dire pourquoi, mais voici le portamento polyphonique le plus réjouissant qu'il m'ait été donné de croiser sur un synthé polyphonique: le son est comme aspiré, les oscillateurs partent tous de points inconnus, pour converger simultanément vers une seule note. Changer d'accord avant que le portamento ait fini sa course produit des effets vertigineux.

Au chapitre des lacunes, signalons qu'il n'y a aucun effet, les chorus des Jupiter 4 ou Juno étant avant tout destinés à masquer des lacunes comme un unique oscillateur, il a été jugé dispensable sur le Jupiter 8, à l'époque. Tout bien réfléchi, ils auraient été les bienvenus.

L'arpégiateur dispose de 4 motifs simples, avec une amplitude allant de 1 à 4 octaves. Le tempo est fixé en local, ou bien en externe via l'entrée Trig. Dommage que cet arpégiateur ne puissent être utilisé simultanément avec l'unison. En mode Split, seule la part Lower en bénéficie.

Enfin la machine dispose de 64 mémoires, l'utilisation est hyper simple: on tape un chiffre pour les dizaines, et le suivant pour l'unité. Un mode patch permet de mémoriser 8 combinaisons de 2 tones, en split ou layer. Il ne s'agit que de mémoriser des raccourcis vers les tones: si on modifie le tone, le patch le sera donc aussi (autrement dit: les tones ne sont pas mémorisés dans les patchs).

Bien, bien: et donc, comment sonne cet engin? Au premier abord, le son est agréable, musical, très varié, mais rien n'indique qu'on a affaire à une machine d'exception. Puis, comme l'appareil est simple, on commence à modifier, programmer ses propres sons, et là, c'est une explosion des sens: grosses nappes analogiques, lead ravageurs, gros stabs, brass, basses rondelettes ou ciselés, sons funky ou plus vintage, modernes façon 80's, FX qui sont des invitations au sampling...Le Jupiter 8 est selon moi le modèle à suivre: il fait tout, il le fait bien (à part les grosses basses à la Moog, mais il sait faire plein d'autres types de basses, par contre), il est facile à programmer, c'est un synthé vraiment fait pour cela, simple, accessible, archi-logique. Le son au chaud, évolutif, vivant. Le mode Layer, l'Unison permettent des choses très vastes pour un synthé analogique. S'il devait se distinguer de mes autres synthés, je dirais qu'il a un côté violent et sans concession: les sons sont des uppercuts. Quand on est aux commandes, on a une impression de puissance, un peu comme le pilote d'un avion de combat! C'est vraiment un instrument qui procure un plaisir inoui et donne confiance au musicien!

Enfin, il est fiable, n'a pas besoin d'être mis en chauffe pendant 20 minutes pour sonner juste (malgré l'important dégagement de chaleur du gros dissipateur à l'arrière).

Tout le monde n'aime pas le Jupiter 8. Certains lui reprochent de sonner un peu droit comme un "i", d'être certes polyvalent sans être le meilleur sur un type de sons en particulier. Ce sont des critiques compréhensibles, qu'il faut entendre. J'ai des visiteurs qui ont été déçus en l'essayant. Donc mon avis ne vaut sûrement pas parole d'évangile. Mais je ne peux pas dire autre chose à propos de ce synthé que la chose suivante: je suis totalement conquis pas le son, la philosophie, le look, la subtilité beaucoup plus grande qu'il n'y paraît, en particulier dans la section oscillateurs, les possibilités étendues. Si je ne devais garder qu'un synthétiseur parmi tous ceux que j'ai, celui-ci serait probablement le vainqueur de cette chaise musicale impitoyable.

Reste le prix à payer pour cela. C'est un sacrifice important. Cela le vaut-il? J'ai répondu à la question en acquérant ce synthé il y a plus d'un an maintenant. Je ne le regrette pas, car il y a encore un bon cran qualitatif entre les superbes DSI Prophet 6 (dont le JP8 serait le plus proche), OB6 que je possède également et ce vaisseau amiral: le Jupiter 8 est encore, en particulier pour sa section oscillateurs, son portamento polyphonique et son mode dual (split/layer), un bon cran au-dessus aussi bien en termes de fonctionnalités que de qualité sonore. L'avenir nous dira si des marques parviendront à produire des analogiques d'exception comme celui-ci: jusqu'ici, on n'y est pas encore tout à fait, même si on s'en rapproche un peu plus chaque année.

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